Alors que la fin programmée des moteurs thermiques en Europe approche à grands pas — l’interdiction des ventes est prévue pour 2035 — les stations-service traditionnelles sont contraintes de repenser totalement leur modèle. Longtemps symbole du « tout-pétrole », ces lieux emblématiques de la mobilité se transforment pour répondre à l’essor de la voiture électrique. Entre infrastructures de recharge ultra-rapide, diversification énergétique et services annexes, tour d’horizon des stratégies des grands groupes et des indépendants.
Un marché de la mobilité en pleine mutation
La fin programmée du moteur thermique
En 2023, les ventes de véhicules électriques ont bondi de 55 % en Europe, selon l’ACEA, représentant près de 15 % des nouvelles immatriculations. Cette transition énergétique oblige les acteurs de la distribution de carburants à revoir leur modèle. Actuellement, seulement 10 % des recharges se font en station, mais selon Boston Consulting Group, ce chiffre pourrait atteindre 20 % d’ici 2030.
Les nouveaux concurrents en lice
Le marché de la recharge électrique est devenu un champ de bataille stratégique où se croisent des acteurs aux profils très variés :
- Les pétroliers historiques : TotalEnergies, Shell, BP déploient des bornes rapides sur leurs réseaux existants.
- Les pure players : Fastned, Ionity ou Allego construisent des stations dédiées 100 % électriques, souvent sur les axes autoroutiers.
- La grande distribution : Carrefour, Lidl ou Casino misent sur les bornes gratuites ou low-cost pour attirer du trafic en magasin.
- Les constructeurs : Tesla, Mercedes, BMW développent leurs propres infrastructures premium, souvent réservées à leurs clients.
Les stratégies des géants pétroliers
TotalEnergies : cap sur les bornes ultra-rapides
L’entreprise française vise 150 000 points de recharge en Europe d’ici 2025, avec des bornes de 150 à 300 kW, capables de recharger 80 % de batterie en moins de 20 minutes. Elle transforme les stations services Toal Energie en “multi-énergies”, combinant électricité, hydrogène et biocarburants, et conclut des partenariats clés (BMW, Stellantis, Tesla) pour intégrer des réseaux existants comme les Superchargeurs.
Shell Recharge : l’intégration globale
Avec le rachat de NewMotion, Shell devient un acteur majeur de la recharge. Son objectif : déployer 500 000 points de charge dans le monde d’ici 2025. Elle teste en parallèle des solutions d’autonomie solaire, notamment en Californie et en Allemagne. Son programme de fidélité Shell Club permet aussi aux utilisateurs de bornes de bénéficier de réductions exclusives.
BP Pulse : une cible professionnelle
Moins médiatisée, la filiale électrique de BP prévoit 100 000 bornes en Europe d’ici 2030. Sa stratégie se concentre sur les flottes professionnelles, notamment les livreurs, taxis et transporteurs urbains, avec des hubs de recharge en périphérie des grandes villes.
Des défis techniques et économiques à relever
La course à la puissance : 150 kW, 350 kW… et après ?
Si les bornes rapides actuelles délivrent entre 50 et 150 kW, les stations de demain viseront les 350 kW, permettant une recharge complète en moins de 15 minutes. Mais seuls quelques modèles haut de gamme comme la Porsche Taycan ou la Lucid Air peuvent réellement en bénéficier. Cela pose la question de l’adéquation entre infrastructure et parc automobile.
Une rentabilité encore incertaine
Installer une borne rapide coûte entre 50 000 € et 150 000 €, hors coût de raccordement. À ce jour, le modèle économique reste fragile, car les marges sont faibles, les usages encore irréguliers, et les temps d’utilisation longs. Pour rentabiliser, il faut du volume… ou une offre premium.
Une nouvelle expérience client
Puisqu’une recharge peut durer 20 à 40 minutes, les stations doivent désormais offrir plus qu’un simple plein : cafés, snacks, Wi-Fi, salons, espaces enfants… Le paiement aussi évolue, avec l’essor des applications, badges RFID et CB sans contact.
Les indépendants face à une transition à haut risque
Les petites stations, déjà fragilisées par la concurrence des grandes enseignes, peinent à suivre. Certaines ferment, d’autres se réinventent en centres de services (réparation, lavage, mécanique). Heureusement, des subventions publiques sont disponibles en France (programme Advenir), en Allemagne ou aux Pays-Bas pour soutenir leur équipement.
Mais cela suffit-il ? Faute d’économies d’échelle et de puissance de frappe, beaucoup n’auront pas les moyens de faire le saut technologique. Ce sont pourtant ces stations qui assurent la couverture territoriale fine, notamment en zone rurale.
À quoi ressembleront les stations-service en 2030 ?
Les stations-service de demain ne ressembleront plus à celles d’hier :
- Des hubs énergétiques : recharge électrique, hydrogène, GNV, café, restauration rapide, consignes de colis…
- Des stations 100 % électriques le long des autoroutes, avec panneaux solaires et batteries tampon.
- La disparition progressive des pompes thermiques dans les centres-villes, remplacées par des bornes en libre accès.
L’expérience utilisateur et la rapidité d’exécution seront les nouvelles priorités. Un écosystème est en train de se créer, où le plein d’énergie se fera sans stress, pendant une pause bien pensée.